J’ai déjà évoqué la prévention des violences sexuelles à l’école dans deux articles précédents (l’un assez général, l’autre dans lequel vous retrouvez des fiches de travail sur la notion d’inceste et de droits des enfants) auxquels je vous renvoie et, j’espère terminer un autre article, beaucoup plus complet, sur la question avant l’été.
Aujourd’hui, je reviens pour parler consentement. Je suis en train de mener une séquence sur la question avec mes élèves, et d’élargir aux notions de violences faites aux enfants. Je vous explique pourquoi et comment mener cette séquence.
Pourquoi parler de violences sexuelles aux enfants ?
Les chiffres sont alarmants. Dans les faits qui sont dénoncés, que les études ont pu étudier et donc chiffrer, on constate qu’un enfant sur 10 est victime de violences sexuelles. Ces chiffres sont donc sous-évalués. Certaines études font monter ces statistiques à 1 enfant sur 5 victime de violences sexuelles intrafamiliales.
14,5 % des femmes et 4% d’hommes ont révélé avoir été victime de violences sexuelles. Pour plus de la moitié des cas, ces violences ont été perpétrées avant l’entrée collège. (enquête VIRAGE de 2015 publiée en 2017).
On constate également que les agresseurs sont de plus en plus jeunes. 40% des violences sexuelles sur mineurs sont perpétrées par des mineurs. Pourtant, les études neuroscientifiques et psychiatriques le démontrent, il n’y a pas de sexe des enfants. Un enfant n’a pas de désir sexuel. En revanche, il y a une sexualité infantile. C’est-à-dire que dans son développement, l’enfant va traverser diverses étapes et découvrir petit à petit la sexualité. D’abord par la découverte de son propre sexe, du plaisir qu’il va donner (sans aucune connotation de plaisir sexuel tel qu’on l’entend en tant qu’adulte)… une évolution qui est tout à fait normale. Toutefois, c’est le rôle de l’adulte de poser les interdits afin de repositionner l’enfant dans la découverte de la sexualité aux étapes de son développement.
Par exemple : un enfant de 5 ans va jouer au “docteur”. Il va vouloir reproduire un schéma qu’il a vécu, en faisant semblant d’ausculter des jouets, des frères/soeurs, des copains/copines. Peut-être à un moment donné, va-t-il demander à l’autre de se déshabiller et de découvrir le corps nu d’un autre enfant. Si le jeu est tout à fait normal, il est essentiel que l’adulte, qui peut être témoin direct ou indirect, repositionne l’enfant : “tu as le droit de découvrir ton corps mais on ne peut pas demander à une autre personne de se déshabiller, de toucher ses parties intimes…”. Si l’adulte ne dit rien ou a une attitude positive face à ce comportement, l’enfant peut recommencer son expérience avec d’autres enfants à la maison, à l’école, et ne pas comprendre la notion d’intime plus tard. Il est donc essentiel que l’adulte, très tôt, joue ce rôle éducatif auprès de l’enfant.
Mais pourquoi à l’école ?
Le problème aujourd’hui, c’est que les enfants sont très tôt confrontés à la sexualité : par des images véhiculées dans les médias (séries télé, films, livres, publicités dans la rue…), par des discours entendus lors de conversations entre adultes (les petites oreilles traînent toujours !)… Et on n’explique pas aux enfants que ce qu’ils peuvent voir ou entendre ne correspond pas à la réalité qu’ils se font. Quand un enfant de 10 ans commence à voir son corps changer, par le début de la puberté, il va se poser des questions. Si ses parents ne le font pas, où va-t-il trouver les réponses ? Sur internet, et dans une grande majorité des cas, il tombera sur des contenus pornographiques. En 2011 déjà, une étude chiffrait : 43% des 11-13 ans et 68% des 15-17 ans ont déjà visionné des contenus choquants sur Internet (étude CSA). Une étude IFOP de mars 2017 montre que les chiffres ont évolué en à peine quelques années. “Par rapport à 2013, la proportion d’adolescents ayant déjà vu un film X sur un support TV est restée stable (34%). Elle est en revanche passée de 37 % à 51 % concernant la consultation de sites pornographiques. Neuf fois sur dix, il s’agit d’un site gratuit. Le smartphone est le support privilégié, devant l’ordinateur et la tablette. Les autres supports (DVD, télévision, vidéo à la demande) sont très peu exploités par les jeunes.” (extrait d’un article sur le site RTL).
On voit donc avec toutes ces données que l’école a un grand rôle à jouer dans l’éducation à la sexualité. Les familles dans lesquelles on retrouve des violences intrafamiliales ne feront pas ce travail, dans d’autres, le sexe est tellement tabou que son évocation provoque la colère des adultes, d’autres parents considèrent qu’il est beaucoup trop tôt pour en parler avant le collège. Malheureusement, les chiffres alarmants nous montrent qu’il est pourtant essentiel de parler de consentement, de prévention, de respect du corps dès les plus petites classes.
Dans une classe, nous pouvons alerter, prévenir, éduquer entre 20 à 30 enfants chaque année. C’est le grand pouvoir de l’école : nous, enseignants, pouvons faire basculer cette société en devenant acteur de la lutte contre les violences sexuelles. Au même titre que nous évoquons le racisme, le harcèlement, il est indispensable que nous parlions également de violences sexuelles pour protéger les enfants.
Comment aborder la question du consentement avec nos élèves ?
Comme je le disais dans l’article précédent sur l’inceste, je préfère commencer ces séquences par la lecture d’un album de jeunesse. Il en existe aujourd’hui beaucoup de grandes qualités qui permettent l’entrée en douceur dans ces thèmes si difficiles. Les élèves, quel que soit leur âge, sont toujours contents d’écouter une lecture par l’enseignant. Mes élèves de CE2-CM1 sont très réceptifs à ces lectures (nous en faisons régulièrement sur différents thèmes).
Voilà comment s’organise une séance dans ma classe :
1. Découverte de l’album : nous analysons la couverture (première et quatrième de couverture) avec les différentes informations présentes (auteur, illustrateur, titre, illustration éditeur, synopsis…).
2. Lecture offerte par l’enseignant
3. Retour collectif sur la lecture : je demande aux élèves de résumer l’histoire, je reviens sur quelques passages sensibles (vocabulaire…).
4. Nous discutons ensemble de la lecture, ce qui les a interpellés… J’étaye toujours pour guider la réflexion des élèves car ils peuvent partir un peu dans tous les sens.
5. Travail sur fiche.
6. Je laisse toujours une boîte à questions disponibles dans la classe après ces séances : les élèves peuvent y déposer des questions, des témoignages, anonymes ou non et nous y revenons en début de séance suivante pour que je puisse y répondre si je le peux, ou bien que l’on essaie ensemble de trouver une solution si c’est possible.
Evidemment, vous pouvez tout à fait trouver une autre organisation qui vous convienne bien plus. Cette manière de faire me permet de lier à la fois littérature et EMC, ce que j’apprécie. Nous faisons également beaucoup de langage oral : capacité à s’exprimer, à argumenter, à s’écouter les uns les autres, à répéter les termes employés… Et je tiens à ce qu’il y ait toujours une trace écrite pour les parents afin qu’ils sachent ce que nous faisons en classe (et surtout les rassurer, qu’ils comprennent que je ne leur apprends pas à avoir des relations sexuelles à leur âge !).
Les albums de jeunesse pour parler de consentement
Pour le cycle 1
Petit Doux n’a pas peur de Marie Wabbes
Petit Doux et Gros Loup jouent souvent ensemble. Mais Gros Loup va quelquefois trop loin. Il se sert de sa grande taille pour faire des choses à Petit Doux, même lorsque celui-ci dit non. Il a peur et n’ose pas protester. Mais Petit Doux fini un jour par dire haut et fort à tous ses amis comment se comporte Gros Loup.
Qui s’y frotte s’y pique, ou comment Mimi a appris à dire Non de Marie-France Botte et Pascal Lemaître
Voici un livre que les plus petits apprécieront autant que vous, parents. Parce qu’il est drôle, vif, intelligent. Parce qu’il a pour but d’apprendre aux enfants à dire NON. Non aux sollicitations importunes. NON aux menaces potentielles. NON aux abus, quels qu’ils soient. Suivez les aventures de Mimi Fleur de Cactus et de son hérisson. Mimi est une petite fille comme les autres, une petite fille qui rit, qui joue et qui aime la vie. Mais attention… qui s’y frotte s’y pique ! Mimi n’aime pas qu’on la force, qu’on l’embête ou qu’on l’entraîne. Elle a compris que la loi du plus fort n’est pas toujours la meilleure. Pourquoi attendre quarante ans pour apprendre à dire NON ? Quand on est tout petit, savoir répondre NON, c’est éviter tous les dangers.
Et si on se parlait ? 3-6 ans d’Andréa Bescond et Mathieu Tucker
Coucou ! Nous nous appelons Thomas, Noémie, Jade et Sam… Nous avons à peu près ton âge et nous aimerions partager avec toi des petites expériences de vie. Cela te permettra d’en parler avec les adultes qui s’occupent de toi, d’exprimer tes émotions, de raconter à ton tour ce que tu vis à l’école ou à la maison…
C’est à moi ! Mon corps, mes choix de Les P*Nuts
Avec des mots simples et des illustrations colorées et enfantines ce livre aborde les thèmes de la propriété du corps, de l’intimité, de la pudeur… Destiné à tous les enfants, c’est aussi un support pour ouvrir le dialogue, leur permettre de s’exprimer et répondre à leurs interrogations… Ils ont pu entendre des informations à la télévision, à la radio… Comment peuvent-ils réagir face à un comportement inapproprié? Qui contacter?
Pour le cycle 2
Ça suffit les bisous de Mayana Itoïz
Lara est vraiment à croquer ! A chaque heure de la journée, la fillette reçoit une pluie de baisers. Des bisous chéris, mimis et tout doux…mais aussi des bisous collants, piquants et encombrants ! Oui mais voilà, comment résister à ce trop-plein de câlins ?
Et si on se parlait ? 7-10 ans d’Andréa Bescond et Mathieu Tucker
Coucou ! Nous nous appelons Lila, Tina, Mathilde, Léo & Hakim… Nous avons à peu près ton âge et nous aimerions partager avec toi des petites expériences de vie. Cela te permettra d’en parler avec les adultes qui s’occupent de toi, d’exprimer tes émotions, de raconter à ton tour ce que tu vis à l’école ou à la maison…
Respecte mon corps de la collection Dr Dolto
Parfois des adultes ne respectent pas notre corps, certaines caresses sont interdites. Il ne faut pas les laisser faire et en parler aussitôt à une personne en qui on a confiance. Personne n’a le droit de nous toucher si nous ne le voulons pas. Mais les bons gros câlins bien tendres des grandes personnes qui nous aiment et nous respectent, ceux-là font toujours du bien.
Pour le cycle 3
Touche pas à mon corps, Tatie Jacotte ! de Thierry Lenain et Stéphane Poulin
Une petite fille est si polie qu’elle n’arrive pas à refuser les bisous insistants de Tatie Jacotte, alors que ceux-ci la dérangent. Heureusement, un jour, à l’école, une dame lui apprend que son corps est son corps, et que personne n’a le droit de lui faire un bisou ou une caresse si elle n’est pas d’accord.
Le petit livre pour apprendre à dire non aux violences sexuelles faites aux enfants de Delphine Saulière, Gwénaëlle Boulet et Marie Spénale
Ce livre – fait à partir du livret – compte 40 pages et remplace Le petit livre pour dire non aux abus sexuels. Il présente six scénarii de la vie quotidienne mettant en scène des enfants potentiellement victimes d’agresseurs. Ceux-ci sont des adultes connus de l’enfant, car dans 90 % des cas la victime connaît son agresseur : un moniteur de sport demande un massage, un faux joueur de jeux vidéo sévit sur internet, un tonton demande des caresses à sa nièce quand sa mère a le dos tourné… Dans chaque situation, on indique à l’enfant la bonne attitude pour éliminer le danger : parler, appeler les numéros d’aide, porter plainte à la police…
Les albums pour le cycle 1 peuvent tout à fait être utilisés en cycle 2 et les albums de cycle 2 peuvent tout à fait être lus en cycle 3, bien évidemment.
Quelques ressources d’accompagnement
En classe, après la lecture des ouvrages, je laisse toujours une trace écrite. Voici les documents que j’ai utilisés pour cette séquence, après la lecture de “Touche pas à mon corps, Tatie Jacotte !” et un ouvrage sur l’inceste “Le loup” qui me permettent aussi de parler des notions “alerter ou rapporter”.
Tatie jacotte – le consentement
Les questions qui reviennent le plus
As-tu déjà eu des retours négatifs de parents ?
Non. Je n’en ai jamais eu en 3 ans que je fais ces séquences en classe, que l’on parle d’inceste, de violences sexuelles, de consentement… Bien au contraire, j’ai souvent des retours positifs de parents qui me remercient d’en parler en classe, qui rebondissent à la maison et en rediscutent avec leurs enfants. Une maman m’a même fait une recommandation de livre une fois ! Je partage aussi avec les parents notre travail : ils savent que je ne dépasse jamais les limites (on n’aborde pas l’acte sexuel, c’est ce qui fait généralement peur). Quant eux parents qui violentent leurs enfants, ils ont plutôt tendance à faire profil bas, ce ne sont donc pas eux qui viendront se plaindre de vos séquences de classe !
Est-ce que des enfants se sont déjà confiés à toi ?
Non, ce n’est pas arrivé. Cela ne veut pas dire qu’aucun de mes élèves n’a jamais été victime. Quand on voit les chiffres, on en a forcément connu. Mais peu importe s’ils se confient à moi ou non. Les enfants doivent tous savoir qu’ils ont le droit d’être protégés et en sécurité. Je ne les invite pas à se confier à moi spécifiquement. Je les invite toujours à avoir en tête une personne de confiance à qui ils peuvent s’adresser s’ils ont le moindre soucis : un parent, un frère, une soeur, un oncle, une tante… Je leur dis évidemment que je suis prête à les écouter s’ils le souhaitent.
Que faire si un enfant me dit qu’il est victime de violences sexuelles ?
Et bien, quand on constate des violences sur un enfant ou qu’un enfant se confie à nous sur des violences (sexuelles ou non) qu’il pourrait subir, il faut faire immédiatement un signalement au procureur. Notre travail n’est pas de vérifier l’information, de savoir si elle est vraie ou non, ça c’est le rôle de la police et de la justice. Notre travail est de relayer l’information aux services compétents. Si le témoignage est indirect (X a dit à Y que…), il faut encourager la personne qui a recueilli le premier témoignage à faire un signalement ou à appeler le 119 (qui est anonyme), quant à vous, enseignant, je conseille toujours de faire remonter ces informations à nos supérieurs hiérarchiques, par écrit, pour laisser une trace. On ne sait jamais.
Je vous joins aussi cette vidéo réalisée par Eduscol qui traite du cadre légal et du circuit des informations préoccupantes dans le cadre de la conférence “Prévention des violences sexuelles intrafamiliales à l’École” (les autres vidéos sont d’ailleurs disponibles sur le compte Youtube de Eduscol, je vous recommande de les visionner).
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